M & E // Chapitre 2 : accouchement en maison de naissance

Meghann & Elvis : « évidence »

Mettre au monde

Meghann :

30 mars 2021.

Je me réveille au milieu de la nuit avec une étrange sensation. Je regarde mon téléphone, il est 3H52, et ma poche des eaux est fissurée. Je préviens notre sage-femme d’astreinte cette semaine là, ainsi qu’Anne-Sophie. Nous sommes heureux, excités par ce qui nous attend, impatients de rencontrer notre bébé. J’entre doucement dans ma bulle.

6h55 :

Mon réveil eut une autre couleur ce matin là en regardant mon téléphone…

« Je me réveille à l’instant. Fissure de la poche je crois bien 🙂 Liquide parfaitement transparent. Je dormais à point fermé, pas de vague suffisamment intense pour m’avoir réveillée. »

Puis 2h30 plus tard :

« Bonjour Anne-Sophie, c’est Elvis. Seulement pour t’informer que je prends le relais sur les échanges de messages. Meghann a commencé doucement son travail. Je te tiendrai informée au fil de l’eau. A bientôt.

J’étais à la fois apaisée et surexcitée !

C’est ensuite leur sage-femme D. qui a prit le relais. J’avais hâte de partager ce reportage avec elle. Sans pouvoir l’exprimer concrètement, D. a vraiment une aura toute particulière avec laquelle je me suis sentie connectée. Sa bienveillance et sa vision de l’accouchement me parlait réellement. Elle ne me voyait pas comme une personne en plus dans la salle mais comme une belle énergie supplémentaire qui accompagnerait cette naissance…

Je suis arrivée à MaNaO un peu avant 10h après avoir reçu le message de feu vert pour décoller. J’ai pu prendre le temps d’échanger avec les sages-femmes présentes et prendre mes marques avant l’arrivée des futurs parents. Je savais combien il était primordial pour eux de réussir à rester dans leur bulle. J’ai donc attendu que ce soit eux qui me disent lorsqu’ils étaient prêts à m’accueillir dans la chambre de naissance.

Meghann :

Nous prenons la route pour Manao, quand l’intensité des vagues me souffle à l’oreille qu’il est temps d’être plus entourés, dans le lieu où nous accueillerons notre bébé.

Notre sage-femme nous accueille à notre arrivée à MaNaO. Anne-Sophie est déjà là, toute en discrétion. Elle attend que nous soyons prêts pour nous rejoindre. Dans cette chambre, nous reprenons le travail là où nous l’avions laissés. L’intensité refait vite son apparition. À chaque vague, la douleur se fait sentir dans mon sacrum. Je cherche mes marques, je cherche la position qui me soulagera, tantôt sur le ballon, tantôt accrochée à Elvis, tantôt sur les toilettes. Elvis me masse le bas du dos, à chaque vague. Un rituel se met implicitement en place entre nous deux. Et entre chaque contraction, ses bras m’accueillent. Je me ressource en douceur, en puisant en lui sa force pour traverser la vague suivante.

Les volets étaient fermés. Deux petites lampes de chevet tamisaient la pièce. Une petite musique accompagnait les gémissements de Meghann. Elle s’était couchée sur le ballon de Pilate et Elvis la soulageait par des massages à chaque contraction.

J’ai déposé mon sac derrière le paravent. J’ai sorti mon appareil et je me suis lancée dans cette aventure qui allait changer à jamais ma vision de la photographie…

Meghann était concentrée. Elvis la soutenait dans chaque vague de douleur. Je les ai accompagnés à chaque étape du travail.

Bouger dans la chambre au gré des contractions, pouvoir naviguer entre le lit, les toilettes, la baignoire comme elle le souhaitait au fil des vagues, se positionner comme son corps en avait envie… Ça fait partie des raisons de leur choix d’accoucher à MaNaO. Et puis, j’ai perdu la notion du temps dans cette pénombre…

Vers 13H00, notre sage-femme me propose de rejoindre le bain. Quand je m’immerge dans cette eau chaude, je regrette presque de ne pas m’y être rendue plus vite. C’est un réel soulagement. Je m’y sens si bien.. Les minutes de répit entre chaque vague sont salvatrices dans cette eau. Je parviens même à m’endormir et pars dans un ailleurs qui me renforce pour la suite. Moi qui ne souhaitais pas forcément accoucher dans l’eau, il me semble alors évident que mon bébé naîtra dans cette baignoire. Je perds la notion du temps, et les heures passent.

Je naviguais entre la chambre et la salle d’attente de la maison pour grignoter mes barres de céréales. Je profitais des allées et venues de D. pour me faufiler avec elle et ainsi limiter les ouvertures et fermetures de la porte. Être la plus discrète possible était l’une de mes principales missions. Ma présence ne devait pas interférer dans la connexion des parents avec leur bébé. Je devais venir mettre des images sur cette bulle d’amour et de douleur.

C’est vers 17H que les choses s’accélèrent, après un échange avec notre sage-femme qui me guide davantage dans cette traversée. Notre sage-femme et Anne Sophie, nous laissent alors tous les deux, pour avancer en intimité dans l’accompagnement de la descente de notre bébé. Et pendant les deux petites heures qui suivent nous continuons le travail. Elvis est toujours d’un soutien sans faille, et j’accompagne mon bébé vers la sortie.

Il est un peu plus de 19H quand je ressens le besoin de faire revenir notre sage-femme. Ça y est, je la sens, notre fille est là, elle va naître d’un instant à l’autre. Anne-Sophie nous rejoint à son tour. Et dans une poussée irrépressible, je sens une libération, sa tête est sortie. Elvis et notre sage-femme sont derrière moi pour accueillir bébé. Je dois l’avouer… Je suis à ce moment très agréablement surprise par la sensation. Le cercle de feu que l’on m’a si souvent décrit me semble largement supportable. Puis un silence s’installe dans la pièce. Je me sens toujours en confiance dans cette atmosphère que je sens pourtant doucement changer… Quelque chose se passe. La seconde sage-femme de garde rejoint la chambre. Je reste dans ma bulle, les yeux clos, connectée à mon bébé que j’accompagne vers notre monde. Je comprends au bout d’une dizaine de minutes ce qu’il se passe. Notre bébé nous a fait la surprise de se retourner au dernier moment. C’est en fait son pied que j’ai senti sortir précédemment, et non sa tête. Elvis se rapproche de moi, il me soutient, il m’enlace, il m’encourage et me félicite. Il est pleinement avec moi dans cette traversée. Nous sommes un réel trio, lui, moi, et le bébé.

Et puis, il y a eu cette phrase glissée au creux de mon oreille par la sage-femme de garde : « Siège inopiné, ils vont être transférés. » Elle a traversé tout mon corps…et mon cœur de maman et de photographe.

Comment n’avais-je pas pu m’y préparer davantage ? J’en avais pourtant parlé avec mes collègues. J’entendais à nouveau leurs mots : « La naissance est une étape ; pas une fin en soi ». C’était fréquent et ça n’enlevait en rien tout le travail déjà accompli. Mais j’avais purement oublié que c’était une option possible…

Tout s’était tellement bien aligné que je n’avais plus du tout en tête qu’un transfert pourrait alors venir se mettre au milieu du chemin. Ça allait pourtant bien être le cas. Je revois le regard d’Elvis désemparé et rempli d’amour. Un mélange de crainte et de soulagement je crois. Il voyait Meghann souffrir sans que le travail ne semble pour autant avancer depuis plusieurs heures. Le bébé arrivait enfin mais pas du côté qu’on l’attendait. Il s’était retourné en plein travail…et c’est un pied qui faisait son apparition.

Après quelques minutes pour enregistrer l’information, j’ai remis ma casquette de photographe. Mais quand arrêter de photographier ? Je ne savais pas…j’ai suivi mon instinct. J’ai pris en images ce passage symbolique tant physiquement qu’émotionnellement entre MaNaO et la salle d’accouchement. Je les ai suivis d’un pas timide jusqu’à ce que je ne puisse plus accéder.

Bébé ne naîtra finalement pas ici. Le destin en a décidé autrement. Elle a décidé de se retourner, elle a choisi un autre chemin pour sa mise au monde. Je me recentre, guidée par ma sage-femme, et je reste alors dans ma bulle, avec toujours cet objectif en tête, accompagner mon bébé dans sa descente. Le transfert vers la maternité se fait en douceur. Je sors de cette eau qui m’était si réconfortante, enveloppante.. Une gynécologue m’attend. Nous quittons alors MaNaO pour une salle de naissance du CHOR. Laissant derrière nous notre sage-femme, notre projet de naissance, Anne-Sophie et la possibilité de capturer la venue au monde de notre bébé. Je reste malgré cela positive, confiante et affirmée. L’aide de cette gynécologue s’avère précieuse et indispensable.

Ma présence n’avait pas été discutée avec le corps médical de l’hôpital. J’ai éteint mon appareil photo et j’ai attendu…

Ce fut long. Très long !

Pas tant que ça sur la montre mais dans ma tête. Après toutes ces heures passées ensemble, la chambre était vide… Il y avait un tel décalage d’énergie.

Meghann criait de l’autre côté du couloir et les minutes semblaient des éternités à elles seules.

Et il y eut surtout ce doute.

Celui dont on ne veut pas envisager l’existence mais qui était là. J’étais pourtant consciente que ça arrivait bien plus souvent que ce que les gens pensent. Je suis photographe bénévole pour l’association Souvenange et je connais les chiffres. Mais aujourd’hui, égoïstement, ça ne pouvait pas être possible. Toutes ces belles rencontres ne pouvaient pas s’aligner sur la mort.

Un accouchement en siège, ça se prépare un peu différemment paraît-il. Pour être sûr que la tête du bébé puisse passer par le bassin, il y a des examens à faire. Ça n’était pas le cas pour Meghann…

L’atmosphère avait changé.

Les 40 minutes qui se sont écoulées entre leur transfert et la naissance m’ont réellement marquée. Je n’étais pas préparée à cette attente. Je le suis maintenant !

21H20

Yuna est née.

Quelques minutes s’écoulent… Ses premiers pleurs ont rempli nos cœurs de gratitude !

C’est à 21H20 que notre fille, Yuna, voit le jour. Nous prenons le temps de nous rencontrer, elle, son Papa et moi, et nous (re)tombons tous les trois en amour les uns des autres. J’aime à penser qu’elle a souhaité me montrer ô combien je suis capable. Moi qui, la veille encore, doutais de ma capacité à enfanter naturellement, sans anesthésie péridurale. Yuna m’a montré que j’en étais capable, plus encore que je ne l’aurais jamais imaginé, même quand l’environnement et les événements sont très loin de ce que j’espérais.

Je suis soulagée. Je respire.

Et maintenant ? Comment partir après tant d’émotions ? Je n’y arrivais pas. J’étais scotchée à mon siège en espérant secrètement pouvoir offrir à Meghann et Elvis quelques photos de leurs tous premiers instants de vie tous les 3. Il n’en fut rien.

Le visage souriant d’Elvis dans l’encadrure de la porte vint apaiser mon esprit et mettre fin officiellement à mon reportage. Je n’allais pas être autorisée à passer côté hôpital. Il ne réalisait pas encore tout ce qui venait de se passer mais Meghann et Yuna allaient bien, c’était l’essentiel.

23h30

Je descends enfin ces grands escaliers en métal. Il fait bon dehors. Ma voiture est seule au fond du parking. Je rentre chez moi en mode automatique.

Je viens de vivre une expérience si puissante, si intense, si magique. Je viens de vivre mon premier reportage d’accouchement. Ce que je ne savais pas encore, c’est que ça n’était que le début.

31 mars 2021 / 3h53

Je reçois un message de Meghann destiné à leurs proches pour annoncer la naissance de leur « petite guerrière ». Deux photos l’accompagnent. Une de Yuna contre le sein de sa mère. Une de tous les 3 sourire aux lèvres.

J’allais pouvoir commencer sereinement le travail de post-traitement.

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Paget Aurélie

Trop émouvant !

Mancietvalerie

Ohhhh les écrits sont superbes , les frissons me parcourent le corps et mon cœur s’est accéléré ….
Félicitation pour ce blog
J’imagine le travail que tu as dû gérer pour avoir ces accès et autres …..
Je suis contente pour tous ces parents de pouvoir t’avoir à leurs côtés .
Ta persévérance et ton talent est juste un cadeau de la vie .
Belle continuation
Valérie manciet

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